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Il existe depuis longtemps à BESANCON une rue Proudhon ; elle avait été ainsi dénommée on 1864 en l'honneur du jurisconsulte Jean-Baptiste-Victor PROUDRON, né à Chasnans (Doubs) on 1758 et qui, après avoir été professeur de législation à l'Ecole Centrale de BESANCON, institué. par décrets des 7 ventôses de I'An III et 3 brumaire de l'An IV, devint professeur et doyen de la Faculté de droit de DIJON ; il mourut en cette ville en 1838.
Cette rue allait de la rue Bersot à la rue dénommée par la suite GAMBETTA en coupant la rue Morand et la rue de la République (alors rue Saint-Pierre).
Par la délibération du 2O mars 1926, le conseil municipal de BESANCON décidait de donner à cette rue le nom de Pierre-Joseph PROUDIION, publiciste, né à BESANCON en 1809, mort à PARIS en 1865. Cette décision était motivée par le fait que le public ignorant Jean-Baptiste-Victor PROUDHON, attribuait généralement la rue à Pierre-Joseph. Mais des protestations s'élevèrent contre cette décision, émanant notamment des descendant du jurisconsulte et finalement intervint un compromis, d'après lequel le nom de Jean-Baptiste-Victor PROUDHON était maintenu au tronçon de la rue qui va de la rue Bersot à la rue de la République et celui de Pierre Joseph PROUDHON à la partie allant de la rue de la République à la rue Gambetta et prolongée plus tard jusqu'à la rue Gustave Courbet.
Bien que descendant d'un auteur commun, Jacques PROUDHON, cultivateur à Chasnans, où il était né en 1710, aîeul de Jean-Baptiste-Vîctor et trisaîeul de Pierre-Joseph, les deux PROUDHON, ainsi rapprochés dans le parrainage de la même rue, étaient cependant bien différents à beaucoup de points de vue.
Et d'abord au point de vue religieux, Jean-Baptiste-Victor PROUDHON, s'il a renoncé à entrer dans les ordres sacrés, comme sa mère l'eut désiré, n'en a pas moins conservé les principes religieux qu'elle lui avait inculqués et que ses études théologiques au Séminaire de BESANCON avaient développés ; il est toute sa vie resté bon chrétien, ce qui lui valut au cours de la Révolution de nombreuses attaques et, entre autres alors qu'il était professeur à l'Ecole Centrale, une lettre en date du 27 fructidor de l'An VI de l'administration centrale du Doubs qui constituait un véritable acte d'accusation auquel il lui était imparti un délai pour répondre, ce qu'il fit par un mémoire justificatif reprenant les divers griefs portés contre lui et voici, en ce qui concerne celui d'avoir fait "profession solennelle de la foi de ses pères" sa belle réponse : "Je commence par déclarer que, si, pour être professeur, il fallait être athée, je n'en aurais jamais accepté les fonctions et que je ne devrais pas conserver ma place."
Les élèves de PROUDHON protestèrent contre cet acte d'accusation par une lettre adressée à l'administration centrale et finalement il fut maintenu dans ses fonctions.
Marié et père de famille, il élève, avec son épouse, ses enfants dans des sentiments chrétiens sa fille, après la mort de sa mère, embrasse la vocation religieuse et devint supérieure du couvent des Ursulines d'ORGELET.
Sans qu'il soit besoin d'insister sur le caractère irréligieux de Pierre-Joseph et de ses uvres, le contraste à ce point de vue est tellement évident que celui-ci le reconnaît lui-même et on pourrait dire s'en vante, dans une lettre adressée par lui à sa cousine Madame ROUILLARD le 2Ojuil]et 1864, soit six mois avant sa mort. Répondant à une lettre de celle-ci, il lui dit: "tu me parlais .... de l'Abbé PROUDHON, de Beure" (petit-fils d'un frère du jurisconsulte né à Chasnans en 1813 curé de fleure de 1847 à 1866, puis de Chantrans où il mourut en 1872) "cet, je crois, aussi des autres PROUDHON, fils ou petit-fils du professeur de DUon, dont tu aurais fait la connaissance .... Quand je te parle de tous ces PROUDHON, dont tu as fait, depuis ton retour au pays, la connaissance, ne t'en vas pas croire que je tienne à les rencontrer et que je fasse, pour moi, le moindre cas de cette parenté. Non ! Non ! et ai je m'invite à déjeuner chez toi, c'est en tête-à-tête, non en assemblée de famille, Ne me mets pas en présence de cette Proudhonnerie conservatrice et bigote. Entre eux et la race d'où je sors, tu as pu mesurer la distance (correspondance de P.J. PROUDHON T. XIII, p. 315 et 316).
Même contraste aux points de vue politiques
et sociaux, Jean-Baptiste-Victor PROUDHON, au début de la Révolution, avait comme
beaucoup, fondé de grands espoirs sur les idées généreuses qui avaient accompagné sa
naissance ; mais ses excès ne tardèrent pas à modérer son enthousiasme, Il réussit à
éviter à des prêtres insermentés les rigueurs du tribunal criminel et, plus tard, à
faire rapporter un décret qui rendait les prêtres déportés justiciables du tribunal
révolutionnaire, ce qui lui fut d'ailleurs véhémentement reproché notamment dans la
lettre de l'administration centrale du 27 fructidor de l'An VI citée plus haut.
Sous l'empire, il fut, par décrets des 17 janvier et 4 avril 1806, inscrit au premier
rang sur la liste des professeurs de l'école de Droit fondée à DIJON et nommé
Directeur de cette école.
" Cette double faveur due à l'initiative personnelle de l'Empereur" dit
Monsieur DUMAY dans son étude sur la vie et les travaux de PROUDHON p. 72, à laquelle
nous avons emprunté la plupart des renseignements qui précèdent "fit naître dans
son cur un attachement et une reconnaissance inaltérable pour le souverain qui
avait su le distinguer". Mais cela lui valut à la Restauration des persécutions
politiques et, à la suite de dénonciations, un arrêté du 9 novembre 1815 lui enlève
le décanat et il fut suspendu de ses fonctions de professeur ; le 14 septembre 1816 il
fut rétabli dans ces fonctions mais c'est seulement le 31 juillet 1818 qu'il fut
réintégré dans celles de doyen.
Par la suite, s'il conserve sans doute un reste de sympathie pour l'empire, il ne fit
aucune opposition au nouveau régime et empêcha même des intrigues politiques de
pénétrer dans l'école.
Il dut voir, par contre, sans déplaisir la révolution de juillet qu'il justifie
d'ailleurs dans son traité du Domaine Public (1ère édition 1833 T.1 p.55 et suiv.). Il
jouit de la considération du nouveau gouvernement qui le fit en 1831 chevalier et en 1837
Officier de la Légion d'Honneur.
En résumé, s'il n'a pas joué un rôle actif en politique, Il a toujours été, dans sa
vie comme dans ses uvres, un ennemi des excès et un défenseur de l'autorité et de
l'ordre. Au point de vue social, c'est un défenseur de la propriété ; dans son dernier
ouvrage, publié après sa mort le Traité du domaine de propriété, il s'attache à en
établir et à en justifier le fondement (éd. 1839 t. I p.Z1 et suiv.) ; c'est, dit
Monsieur DUMAY, "tune réfutation anticipée du fameux adage (la propriété c'est le
vol) "inventé plus tard par un autre FROUDHON (Op. cit. p.187) c'est sur ce terrain
social, plus encore qu'au point de vue politique que le contraste est frappant entre les
deux PROUDHON. (Comment peut-on l'expliquer ?
Tous les deux, nous l'avons dit, avaient pour ancêtre commun un cultivateur ; mais alors
que Jean-Baptiste-Victor, petit-fils de cet auteur commun et fus encore d'un cultivateur,
s'était par son travail et aussi un peu par son mariage, en 1799, avec Mademoiselle
DONEY, fille d'un ancien conseiller du roi, lieutenant particulier au bailliage d'ORNANS,
élevé dans l'échelle sociale, les ascendants de Pierre-Joseph, ou tout au moins son
père, avaient quitté la campagne pour la ville et il ne semble pas qu'ils y aient
réussi. Le père de Pierre Joseph d'abord garçon brasseur à BESANCON, puis tonnelier,
resta toujours pauvre.
Pierre-Joseph dans son livre de la Justice dans l'Eglise et dans la Révolution, raconte
lui-même L'histoire de ses premières années "J'ai eu, dit-il, le rare avantage de
naître peuple, d'apprendre ce qui a fait le peuple tel qu'il est aujourd'hui et de rester
peuple. Jusqu'à douze ans ma vie s'est passée presque toute aux champs, occupé tantôt
à de petits travaux rustiques, tantôt à garder les vaches "A douze ans, il était
garçon de cave, ce qui n'empêcha pas qu'on le fit étudier ; il suivit gratuitement les
cours du collège de BESANCON où il entra en sixième. Bien que ses occupations
domestiques lui fassent souvent manquer les classes, il réussit pourtant dans ses
études, grâce à son opiniâtreté et en copiant le texte des leçons sur des livres
qu'il empruntait à des camarades, car sa famille ne pouvait lui en acheter.
Un jour, après la distribution des prix, revenant chargé de couronnes, il ne trouve pas
en rentrant chez lui de quoi dîner. Obligé de gagner sa vie, il dut interrompre ses
études et devint Ouvrier typographe (d'après la vie de PROUDHON en tête du tome I de sa
correspondance).
Voici ce qu'il dit de lui-même dans la Justice dans l'Eglise et dans la Révolution
"le premier sentiment que m'inspira le spectacle de mon infirmité relative fut la
honte. Je rougissais de ma pauvreté comme d'une punition. Ne pouvant vivre avec la honte,
l'indignation succéda. D'abord ce ne fut qu'une noble émulation de m'élever par mon
travail et mon intelligence au niveau des heureux. N'étant démontré que dans ma sphère
d'ouvrier, je ne réussirais pas, l'émulation se changea en colère. Je cherchai
l'origine de l'inégalité des fortunes, je rejetai toute morale et ne m'arrêtai qu'à ce
que ma conscience disait de bien ou de mal". C'est ce sentiment d'infériorité
ressenti par Pierre-Joseph PROUDHON dans sa jeunesse et son adolescence qui l'a poussé à
la révolte contre un état social qu'il en rendait responsable.
Il faut noter cependant que la jeunesse de Jean-Baptiste-Victor PROUDHON n'a pas été,
elle non plus, exempte de difficultés ; c'est ainsi qu'il dut au cours de ses études
donner des répétitions aux jeunes officiers du génie en garnison à BESANCON pour
alléger les charges que son séjour à la ville imposait à sa mère restée veuve et
c'est par un labeur acharné qu'il parvint à s'élever. Cette ardeur au travail est
peut-être d'ailleurs l'un des rares points de ressemblance entre les deux PROUDHON.
Quels ont pu être leurs rapports ?
Il est douteux que Jean-Baptiste-Victor PROUDHON et Pierre-Joseph se soient jamais rencontrés. Il y avait entre eux une grande différence d'âge (51 ans) et il semble d'ailleurs que les deux branches auxquelles ils appartenaient aient assez vite cessé toutes relations. En tout cas, non seulement aucune cordialité n'a existé entre Pierre Joseph et les fils de Jean-Baptiste-Victor qui étaient de la même génération (leurs dates de naissance s'échelonnent de 1801 à1810) mais certains passages de la correspondance de Pierre-Joseph témoignent d'une réelle animosité à l'égard de ceux-ci.
Nous avons cité plus haut sa lettre du ZO juillet 1864 à Madame ROUILLARD où parlant d'eux, il exprime son mépris pour "cette Proudhonnerie conservatrice et bigote". Dans une précédente lettre, adressée le 18 septembre 1860 à Monsieur MATHEY, il écrit "Le Proudhon, officier de marine, (Léon PROUDHON, troisième fils du jurisconsulte, qui, démissionnaire après son mariage, fut conseiller municipal à BESANCON, puis de 1860 à 1870, adjoint et ensuite maire de cette ville) n'a donc rien appris dans ses voyages que le voilà revenu aimai cafard qu'il y était allé I Quelle triste parenté est la mienne I
Franchement ne vaut-il pas mieux avoir pour frère un
malheureux comme le forgeron de Burgille (Charles PROUDHON) que de bons bourgeois comme le
conseiller (Camille PROUDHON, fils aîné du jurisconsulte, qui était alors conseiller à
la Cour Impériale de BESANCON) et "sa bande" (correspondance de Pierre Joseph
PROUDHON T.X. P. 160).
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Outre les oppositions que nous avons relevées aux points
de vue religieux, politiques et sociaux entre les deux PROUDHON et qui persistaient entre
Pierre-Joseph et les fils de Jean-Baptiste-Victor, et en dehors de la différence des
situations, l'animosité, ou, pourrait-on dire, la hargne de Pierre-Joseph contre les
descendants du jurisconsulte pouvait avoir aussi une cause personnelle.
PROUDIION (Pierre-Joseph) avait assigné devant le Tribunal de Commerce de BESANCON un
libraire de cette ville qui avait mis en vente, avec indication du nom de l'auteur, une
brochure dans laquelle PROUDHON avait, sans non d'auteur, soutenu en 1837 une hypothèse
abandonnée peu après par lui. Il avait eu gain de cause devant le Tribunal de Commerce,
mais la Cour Impériale avait, par arrêt du 27 décembre 1852, réformé le jugement et
condamné PROUDHON aux dépens.
Celui-ci, qui attribuait qui échec à des influences cléricales, en fut fort ulcéré, ainsi qu'il résulte de plusieurs passages de sa correspondance (1). Or le conseiller PROUDHON avait siège dans cette affaire et cela n'avait pu qu'augmenter l'animosité de Pierre-Joseph PROUDHON contre cette branche de la famille.
Il n'avait d'ailleurs pas conservé beaucoup de sympathie
pour les Bisontins en général. Si, dans sa lettre du 20 juillet 1864 à Madame ROUILLARD
(correspondance T.XIII p. 315 et 316) il parle, s'agissant de BESANCON, "d'un pays
où je ne suis guère aimé, mais qui cependant l'intéresse et que, par moment, je
regrette de ne plus habiter" il dit plus loin : "je tiens à la Franche-Comté
par mes souvenirs et une douzaine d'amis, sans cela je te jure que jamais je n'y eusse
remis le pied". Et, dans une autre lettre à la même, du 30 décembre 1863,
(correspondance t. XIII p. 199) "ce que tu me racontes des Bisontins m'amuse et
m'irrite en même temps. Ils sont toujours les mêmes, plus cafards que pieux, serviteurs
de puissances, courtisans et solliciteurs, aussi dépourvus de principes que de dignité.
Il y a là-bas nombre de gens qui ne me pardonnent pas d'avoir été en position de faire
fortune et d'être resté pauvre. C'est une des raisons secrètes qui m'empêcheront
peut-être de retourner dans ma ville où j'aurais aimé cependant finir ma
carrière".
Jean-Baptiste-Victor PROUDHON, au contraire, bien que ses fonctions l'obligeaient à
habiter DIJON, n'en était pas moins resté fidèle au sol natal "Nul plus que lui
n'aimait sa province. Chaque année quand les vacances arrivaient, il était heureux de
partir pour Chasnans avec sa famille." (Dumay op. cit. p. 139).
Quelques importants que soient les contrastes que nous avons relevés entre ces deux
francs-comtois, il n'en ont pas moins l'un et l'autre fait honneur à leur province natale
et c'est, en somme, une heureuse solution qu'à adopté la municipalité de BESANCON en
donnant le nom de chacun d'eux à l'une des deux parties de la même rue, évitant ainsi
la confusion qu'aurait pu entraîner l'attribution de ces noms à des rues différentes.
(1) Note: Lettre à Monsieur MAURICE, du ler janvier l853.
"Je viens, vous le savez sans doute, de perdre mon procès contre TUBERGUE ; la Cour
a voulu contre un mécréant, un socialiste, signaler son zèle ; le clergé a recommandé
chaudement ma partie adverse" (correspondance t. V p. 131).
Lettre de même date à Monsieur le Docteur MAGUET.
"Je viens de perdre devant la cour impériale de BESANCON ce méchant procès que
j'avais avec un libraire qui prétendait avoir le droit d'exhumer et débiter malgré moi
un méchant petit ouvrage que j'avais fait vendre à l'épicier afin de l'anéantir. La
Cour, réformant le jugement du Tribunal de commerce, prétend que ce libraire a été
habile (le mot est joli) mais qu'il a fait un acte licite. Les plaidoiries ont duré trois
jours, la salle était pleine de curés (correspondance t. V p. 135)".
Lettre du 13janvier 1853 à Monsieur MATHEY.
"C'est le clergé qui m'a fait perdre mon procès. D'après ce que me raconte
Monsieur MAURICE, le Procureur Général lui-même a été surpris du jugement. Enfin dans
toute la ville, il est acquis que cet arrêt est un monument honteux de 1'espdt de parti,
non un acte de justice. c'est une guerre à outrance entre la prêtraille et moi".
(correspondance t. V p. 399).
Paul JOURDY (+1965) ( Extrait du centre d'entraide généalogique de Franche-Comté bulletin N° 12 oct., nov., déc. 1982 )
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