![]() |
![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
![]() |
|
Le travaillisme pragmatique |
Paysan de souche et ouvrier de condition, manuel dorigine et intellectuel daccession, praticien par profession et théoricien par vocation, pragmatique par tempérament et moraliste par caractère, économiste et sociologue par observation, politique et éducateur par induction, Proudhon apparaît comme un microcosme du peuple français. Sa naissance et sa vie revêtent par elles-mêmes une double et même signification historique: lavènement du prolétaire à lintelligence de sa condition et de son émancipation, lémergence de la société industrielle dans sa dimension planétaire.
Science et liberté, socialisme scientifique et socialisme libéral, libéral car scientifique, et pluraliste parce que libéral: telle est loriginalité de la pensée de Proudhon, par rapport aux socialistes utopiques de son siècle et aux conséquences dogmatiques de la pensée scientifique de Marx. "La souveraineté de la volonté cède devant la souveraineté de la raison, et finira par sanéantir dans un socialisme scientifique. " "La liberté est anarchie parce quelle nadmet pas le gouvernement de la volonté mais seulement lautorité de la loi [...]. La substitution de la loi scientifique à la volonté [...] est, après la propriété, lélément le plus puissant de lhistoire." Proudhon écrit ces lignes en 1840 (Premier Mémoire sur la propriété ). Le premier, il forge et applique le concept de socialisme scientifique et lui oppose, dès 1846, le nouveau terme de "socialisme utopique". Ce socialisme scientifique se fonde sur "une science de la société méthodiquement découverte et rigoureusement appliquée". "La société produit les lois et les matériaux de son expérience." Aussi la science sociale et le socialisme scientifique sont-ils, corrélativement, autodécouverte et auto-application par la société réelle des lois inhérentes à son développement. "La science sociale est laccord de la raison et de la pratique sociale" (Contradictions économiques , 1846); leur séparation est donc la cause de toutes les utopies et de toutes les aliénations: "Je proteste contre la société actuelle et je cherche la science. À ce double titre je suis socialiste", écrit-il (Voix du peuple , 4 déc. 1848). La même logique qui transforme le socialisme critique en socialisme scientifique conduit celui-ci à être un socialisme libéral. Pour éliminer larbitraire capitaliste, le socialisme tend à une collectivisation sociale. Parallèlement, pour supprimer larbitraire étatique, il amène une libéralisation sociale. Cest à la société tout entière sautogérant et sauto-administrant quil appartient de préparer et dinstaurer cette " révolution permanente" (Toast à la révolution ), cet évolutionnisme révolutionnaire, et dinférer du pluralisme organique social un pluralisme organisateur. La clé de la pensée proudhonienne ne réside pas dans un apriorisme intellectuel, un dogme métaphysique, mais dans une théorisation fondée sur lobservation scientifique: le pluralisme. En effet, "le monde moral (social) et le monde physique reposent sur une pluralité déléments; et cest de la contradiction de ces éléments que résultent la vie, le mouvement de lunivers", la possibilité de la liberté pour lhomme et la société. "Le problème consiste non à trouver leur fusion, ce qui serait la mort, mais leur équilibre sans cesse instable, variable comme le développement des sociétés" (Théorie de la propriété , 1865). Lantagonisme autonomiste et léquilibration solidariste sont "la condition même de lexistence": sans opposition, pas de vie, pas de liberté; sans composition, pas de survie, pas dordre. Le pluralisme est donc laxiome de lunivers; lantagonisme et léquilibration, sa loi et sa contre-loi (La Guerre et la paix , 1861). Le monde, la société sont pluralistes. Leur unité est une unité dopposition-composition, une union déléments diversifiés, autonomes et solidaires, en conflit et en concours. De ce pluralisme physique et sociologique effectif, Proudhon induit un pluralisme social efficient.
Les origines de Pierre Joseph Proudhon, né le 15 janvier 1809 à Besançon dun père garçon brasseur et dune mère cuisinière, sont, au contraire de celles de Marx et de la plupart des réformateurs sociaux (de Saint-Simon à Lénine), authentiquement plébéiennes.
Le pluralisme de Proudhon explique le déroulement logique de son uvre. Sa critique de la propriété capitaliste vise un "atomisme" individualiste (doctrine qui ne voit dans la société quune addition dindividus) doù découlent la négation de lexistence réelle de la productivité propre des "êtres collectifs" et lattribution indue aux seuls capitalistes du surplus productif engendré par la "force collective" (théorie de la prélibation capitaliste). Sa condamnation de labsolutisme étatique, de droite ou de gauche, est celle dun totalitarisme social, système qui nie les manifestations autonomes des personnes collectives et individuelles; doù sa conception de lÉtat comme une collectivité dominante, un appareil bureaucratique, et par suite lattribution indue à ce dernier des "forces publiques" propres aux collectivités et personnes de base (théorie de la plus-value étatique). Sa double attaque contre le spiritualisme intégriste avant la lettre et le matérialisme intégral vise un même unitarisme dogmatique érigeant en principe dominateur un seul élément de la pluralité sociale. Il nest jusque dans ses diatribes pédagogiques où, dénonçant "séparation de lintelligence et de lactivité", "de lécolage et de lapprentissage", de lhomme "en un automate et un abstracteur", il combat labsolutisation, négation de la relation pluraliste (théorie critique du mysticisme idéaliste et matérialiste).
Lautogestion (dite "autonomie de gestion", "anarchie positive"), ou affirmation de la liberté de lhomme par lhomme, constitue la méthode positive de Proudhon. Elle combine simultanément un " travaillisme pragmatique", ou réalisation de lhomme par lhomme grâce au travail social, un "justicialisme idéo-réaliste", ou idéalisation de lhomme par lhomme par la réalisation dune justice sociale, un "fédéralisme autogestionnaire" ou libération de lhomme par le pluralisme social. À partir des trois éléments se développent les théories de Proudhon.
Au travaillisme pragmatique se rattachent les théories du travaillisme historique, de léconomie en tant que science du travail, du réalisme social et de la dialectique sérielle.
La théorie de léconomie , science du travail et discipline tripolaire, est corollaire de la précédente. Le travail, "considéré objectivement dans le produit", fait de léconomie une science de la production et une comptabilité économique fondée sur la valeur travail (théorie de la "valeur constituée"); "considéré subjectivement dans le travailleur", il la crée science de lorganisation et sociologie économique (théorie de la force collective); saisi "synthétiquement dans les rapports produit-travailleur", il la rend science de la répartition et droit économique (théorie mutuelliste et fédérative de la propriété).
Les théories du réalisme social et de la dialectique sérielle sont la statique et la dynamique du travaillisme pragmatique. Le travail et ses lois (division, communauté daction) créent et structurent la société, suscitant une pluralité dêtres collectifs. Par le réalisme social ou théorie des êtres collectifs, Proudhon affirme la réalité et les lois propres des groupes et de la société. Cest "lidée mère de la sociologie" (C. Bouglé), dont la paternité lui est indiscutablement attribuable (G. Gurvitch). "Les collectivités sont aussi réelles que les individualités [...]; la société est un être réel [...]. Il a donc ses lois et rapports que lobservation révèle": la "force collective", la "raison collective" et la "foi collective" (Pornocratie ).
La dialectique sérielle est la dynamique des forces physiques et sociales catalysées productivement par le travail (ou subversivement par la guerre). Le monde est une chaîne dantinomies. Lantinomie, couple de forces, compose, par lopposition de deux éléments à la fois antagonistes et complémentaires, un chaînon élémentaire de ce pluralisme antithétique. La résolution de lantinomie est impossible, mais de lopposition des éléments antinomiques naissent vie et mouvement. Artificielle, la synthèse ne résiste pas à la vie, elle aliène ou tue. Toutefois, lobservation révèle lexistence de faisceaux de forces associatives et organisatrices, les séries, qui traversent, sous-tendent et disciplinent le mouvement dialectique des chaînes antinomiques. Le travail est une série générale positive, et, par ses deux lois propres, il crée un ordre productif, une dynamique dassociation; à lopposé, la guerre, série générale négative, engendre un ordre destructif, une dynamique de compétition. Processus créatif commun au monde matériel et au monde social, la dialectique sérielle devient, par schématisation "idéelle", une logique formelle copiée sur la logique réelle du monde. De processus effectif, elle se transforme en méthode efficiente de pensée et daction.
Dans la pensée proudhonienne, les théories du justicialisme idéo-réaliste et, en premier lieu, lidéo-réalisme sarticulent au lien qui unit la pensée et laction. Toute idée a sa source dans un rapport réel révélé dans une action et perçu ainsi par lentendement. Le travail, "action intelligente de lhomme en société sur la matière", est cette révélation par excellence. "Toute idée naît de laction et doit retourner à laction, sous peine de déchéance pour lagent" (La Justice , 1858). Mais lidée, par leffort libre dune intelligence fidèle à la réalité, peut devenir "complément de création, création continuée opérée par lesprit à limage de la nature" (Création de lordre ). Ainsi, matière et esprit, hommes et sociétés sont, par laction même du travail, englobés indissolublement dans une dialectique créative où "les choses sont les types des idées", et les idées "impression de la réalité sur lentendement". Cette conception imprègne sa pédagogie travailliste (méthodes actives, jonction entre lapprentissage et lécolage, formation polytechnique, intégration de léducation dans la pratique sociale).
La théorie du réalisme moral et esthétique senchaîne à la précédente. La morale et lesthétique sont dessence sociale et résultent de lidéo-réalisation des rapports sociaux sur lesquels elles réagissent à leur tour.
Dans la théorie connexe de lhistoire négation-révélation , lhistoire est "léducation dynamique de lhumanité" dans son double mouvement de réalisation par le travail et didéalisation par la justice. Elle a pour fonction de démentir "les erreurs de lhumanité par leur réduction à labsurde" (Deuxième Mémoire ) et "de nous révéler le travail de la création de lordre et lémersion des lois" (Création de lordre ). La théorie du progrès-regrès est son corollaire: "Toute société progresse par le travail et la justice idéalisée. Toute société rétrograde par la prépondérance de lidéal", cest-à-dire "lidéalisme" (La Justice ): il ny a pas de théorie automatique du progrès, mais une pratique des rétrogradations ou une perte du réel. Elles adviennent quand lidéalisme imaginatif et le dogmatisme idéomane abusent la liberté et oublient la réalité du travail et de la justice pour "des idéalités politiques et sociales".
La théorie de la liberté comme force de composition est le point de départ et laboutissement du justicialisme idéo-réaliste. La liberté est rendue possible par le jeu de la pluralité des forces antagonistes de lunivers physique, social et personnel; elle devient effective par lhomme qui maîtrise ce jeu; elle est efficace par la multiplication des relations sociales, lengrenage de toutes les libertés; elle accède à lefficience par son équation avec la justice, envisagée comme commutation sociale de toutes les libertés. Seule la liberté efficiente, qui implique la morale et léducation, est liberté plénière. À tous les autres stades, elle peut dégénérer en arbitraire individuel et collectif. À la fois pacte, justice mutuelle et force de composition (avec le réel pluraliste, lindividuel antagoniste, le social relatif, le moral "obligatif"), la liberté forme un jeu ayant ses règles. Leur application permet lémergence de lêtre progressif, larbitrage de sa destinée. Si ces règles sont bafouées, cest le domaine de lêtre fatal, larbitraire du destin.
Le fédéralisme autogestionnaire de Proudhon découle du travaillisme et du justicialisme idéo-réaliste. Il comporte deux constructions distinctes mais complémentaires: la démocratie économique mutuelliste et la démocratie politique fédéraliste, qui se conjuguent sur le plan national et international en fédérations et confédérations dualistes. La clé de voûte de ces structures est lorganisation distincte et couplée des deux manifestations de la société travailleuse: société de production ou organisme économique, société de relation ou corps politique. Leur autonomie est condition du dynamisme et de léquilibre de la société pluraliste. Sous peine daliénation réciproque, les rapports société économique-société politique doivent être ceux dun couple. Ils doivent sopposer pour composer, différer pour dialoguer, et se distinguer pour sunir.
La démocratie politique fédérative est le complément antinomique de la démocratie économique mutuelliste. Dabord, équilibrer contradictoirement le social organisé et létatique décentralisé pour intégrer lappareil étatique dans une nation composée de régions sauto-administrant et sassociant en une république fédérale; ensuite, former entre groupes de nations fédératives des confédérations réalistes, qui établiront entre elles des accords plus larges et plus lâches: telle est la double démarche du fédéralisme et du confédéralisme politique. Quatre règles daction en découlent: lauto-administration des groupes de base, la fédéralisation de ces groupes, la création de républiques fédératives, la constitution de confédérations. Dans les groupes de base, priorité est donnée à la région, territoire optimal pour sauto-administrer et chaînon entre nations et internations. Pour la France, Proudhon demande "la constitution de douze grandes régions provinciales sadministrant elles-mêmes et se garantissant les unes les autres". Le gouvernement fédératif nassume "quun rôle dinstitution, de création, dinstallation, le moins possible dexécution". Ce régionalisme se conjugue avec un économisme et aboutit à une organisation régionale et socioprofessionnelle du suffrage universel (Chambre des régions, Chambre des professions) et une division des pouvoirs originale (pouvoir exécutif régionalisé et décentralisé, pouvoir arbitral à compétence économique, pouvoir consulaire à caractère prospectif, pouvoir enseignant complètement autonome). Le confédéralisme international est une extension du fédéralisme national. Dès 1863, Proudhon prévoit toute lorganisation politique et économique dune Europe confédéraliste: agence, conseils, justice, budgets confédéraux, marché commun ("liberté des échanges et taxe de compensation", "liberté de circulation et de résidence"). Mais ce marché commun inclut la socialisation mutuelliste des économies confédérées.
Au lendemain de la mort de Proudhon, sa doctrine sest répandue dans toute lEurope. Ses articles de journaux sont passionnément lus dans les couches populaires, des livres tels que son Premier Mémoire ("ce manifeste scientifique du prolétariat français", Marx), sa Justice ("un des livres les plus importants du XIXe siècle", H. de Lubac), sa Capacité politique ("ce catéchisme du mouvement ouvrier français", Gurvitch) en ont fait un chef de file du socialisme européen. En Angleterre, "Proudhon constitue une pâture toute trouvée" (Engels à Marx, 18 déc. 1850). Et de John Watt à Sidney et Beatrice Webb, G. O. H. Cole, H. Laski et G. Woodcock, on saisit la filiation trop peu connue entre proudhonisme et travaillisme. Sur le continent, ses livres, sitôt sortis, sont traduits en allemand, en espagnol et en russe. Dans sa préface de 1890 au Manifeste du Parti communiste , Engels avoue explicitement létendue de cette obédience proudhonienne. Le proudhonisme imprègne lItalie, avec Ciccoti et son fédéralisme politique, lEspagne avec les groupes de la célèbre Revista blanca , la Belgique avec le socialisme dun César de Paepe et dun Émile Vanderwelde, lAllemagne avec Karl Grün, M. Diehl, Arthur Mulberger, Eduard Bernstein, et le sociologue F. Oppenheimer. Mais cest en Russie que la doctrine proudhonienne connaît sa diffusion la plus large et une célébrité extraordinaire grâce à Herzen et à ses amis. Le populisme éducatif dun Lavrov, lanarchisme dun Bakounine, dun Kropotkine se réclameront de la pensée de "lillustre et héroïque socialiste" (Bakounine). Et la fascination de Tolstoï envers la personne, les idées, le style de Proudhon lui fera emprunter textuellement titres, phrases et thèmes politiques et philosophiques (Guerre et paix , Quest-ce que lart? , etc.).
Marx retrouvera linfluence proudhonienne dans la Première Internationale des travailleurs et dans la Commune de Paris. Comme le soulignent avec objectivité des historiens marxistes, "LInternationale parisienne, à la veille de la Commune, est en majorité proudhonienne" (J. Bruhat, J. Dautry, E. Tersen, La Commune de 1871 ). Quand la Commune est proclamée, "parmi les trente internationaux élus, près des deux tiers peuvent être considérés comme proudhoniens" (idem). Le programme positif et pacifique de la Commune est nettement proudhonien, et G. Gurvitch ira jusquà écrire: "à lexception du Comité de salut public" et des mesures terroristes préconisées par les blanquistes, "toutes les mesures administratives, économiques et politiques sinspireront de Proudhon". Après la Commune, Gambetta revendiquera la pensée de Proudhon, tandis que les partis socialistes de Brousse et dAllemane reprendront ses thèmes essentiels. Lunification du Parti socialiste en 1905 fera apparaître le jauressisme comme lenfant authentique du proudhonisme.
Lors de la révolution russe, les proudhoniens auront une influence déterminante sur la formation des soviets de base, vite supprimés sous la pression de Staline et de Trotski. Comme "lun des organisateurs des soviets russes de 17", Gurvitch apporte ce "témoignage personnel direct: les premiers soviets russes ont été organisés par des proudhoniens [....] qui venaient des éléments de gauche du Parti socialiste révolutionnaire et [...] de la social-démocratie [...]. Lidée de la révolution par les soviets de base [...] est [...] exclusivement proudhonienne". Plus près de nous, après les révolutionnaires allemands, hongrois, espagnols, et leurs conseils ouvriers dinspiration proudhonienne, le socialisme yougoslave se mettra discrètement à lécole de Proudhon (D. Guérin, LAnarchisme ).
En France, de Jaurès à nos jours, toutes les nuances du mouvement socialiste et des démocrates réformateurs se reconnaîtront dans ce socialisme libéral, ce pragmatisme travailliste et cette justice idéo-réaliste issus de Proudhon. Cest lui qui influencera aussi, paradoxalement, un certain catholicisme social à travers Péguy: "Je suis pour la politique de Proudhon" (LArgent suite ), Mounier (Anarchisme et personnalisme , 1937), et des artisans essentiels de louverture de lÉglise catholique (H. de Lubac, P. Haubtmann, J. Lacroix). Il apparaît également comme un grand ancêtre du syndicalisme. Autonomie ouvrière, fédéralisme professionnel, séparation de léconomique et du politique, du parti et de lÉtat, autogestion: toutes ces idées forces sont passées dans lhéritage syndicaliste avec les proudhoniens E. Varlin, F. Pelloutier, V. Griffuelhes, A. Sorel, L. Jouhaux, fondateurs, théoriciens et praticiens du syndicalisme français.
Il serait artificiel de limiter les influences de Proudhon à des mouvements révolutionnaires et ouvriers. Lui qui savouait "révolutionnaire mais non bousculeur" croit plus à laction organisée dun véritable "réformisme révolutionnaire" quau romantisme désordonné de l"action révolutionnaire". Aussi, à côté de ces mouvements révolutionnaires se réclamant unilatéralement de Proudhon, sest-il constamment développé un courant réformiste et même un courant traditionaliste. Linflation des couples antinomiques de sa descendance contrastée semble bien souligner cette dualité: syndicalisme et socialisme réformistes ou révolutionnaires, fédéralisme et régionalisme de droite ou de gauche, travaillisme et adeptes de la participation, anarchisme et partisans de lautogestion, etc. Cependant, dans ces oppositions si souvent perverties par de fallacieuses annexions, apparaissent, en fait disjoints, les deux éléments toujours accouplés de lévolutionnisme révolutionnaire de Proudhon: nécessité absolue des transformations continues ("la révolution permanente") et refus de la violence arbitraire, sens du temps ("les révolutions durent des siècles"). Dès lors, "anathémisées de front, les idées proudhoniennes [ont] filtré peu à peu dans la société moderne" (Sainte-Beuve).
En France, la pensée de Proudhon na pas dorganisation officielle, mais elle suscite de nombreux centres de réflexion et daction, et de vigoureuses admirations. Certains universitaires ou hommes politiques, et non des moindres, ont été influencés par lui. Certains programmes politiques et syndicalistes ont repris des thèmes typiquement proudhoniens. Une "Société P. J. Proudhon" constitue un centre où convergent ces différents courants.
Ainsi la pensée pluraliste de Proudhon acquiert-elle de plus en plus un singulier pouvoir de réalisation. Proudhon, cent ans après sa mort, paraît écrire pour notre avenir. Puissance de la personnalité, acuité de luvre critique, réalisme de luvre positive, multiplicité et permanence des influences exercées, tout désigne en Proudhon un génie novateur.
(Extrait de l'Encyclopédie Universalis)
Copyright © 1995-2003 PROUDHON, JpP. Tous droits réservés.