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"Périsse la patrie et que l'humanité soit
sauvée."
Pierre-Joseph Proudhon
( Correspondance)
Le "DROIT DES PEUPLES à disposer d'eux-mêmes
". Ce mot d'ordre, ce principe, est généralement énoncé avec des majuscules peu
innocentes et intégré invariablement dans des écrits ou discours ronflants où il
côtoie les mots de "libération", " patrie", "nation",
destinés à en imposer. Les sacrifiés présents ou futurs se doivent en effet d'adopter
cette attitude de respect qui constitue le nécessaire prélude à celle du renoncement
dont le sacré a besoin pour commettre ses exactions à l'encontre de ceux qu'il réduit
au rôle d'instruments. Il convient d'impressionner ceux dont les gangs qui se disputent
les rôles d'administrateurs de l'espèce humaine veulent disposer afin d'édifier, de
conserver et de développer leurs rackets étatiques.
N'étant pas adeptes des divers stupéfiants utilisés depuis des siècles pour faire des
humains des serviteurs dociles, nous rejetons cette conception qui vise à nous faire
accepter et à nous imposer comme des faits de nature l'appartenance à des peuples dont
le destin serait de se constituer en nations. C'est-à-dire en États avec leurs armées,
leurs polices, leurs tribunaux, leurs prêtres, leurs entreprises. . .
L'utilité du mythe national comme matériau contribuant efficacement à rendre les
prolétaires solidaires des intérêts de la bourgeoisie n'est plus à démontrer.
Proudhon l'affirmait déjà (1), qui soulignait l'imposture, plus que confirmée depuis,
du rétablissement de la Pologne, de l'Italie, de la Hongrie et de l'Irlande, et qui se
demandait avec pertinence pour quelles raisons les États-nations constitués sur le
modèle de ceux qu'ils remplacent s'empresseraient d'entreprendre l'immense réforme
sociale et la révolution économique si nécessaires, quand le but affiché n'est
précisément pas la révolution sociale mais l'établissement d'une nouvelle autorité,
prétendument légitime parce que nationale, en fait aussi exécrable que la précédente.
Aucun exemple n'est venu démentir le sage Proudhon, et l'Histoire a abondamment montré
que la supercherie nationalitaire a, partout où la lutte et sévit, et souvent sans même
attendre de triompher, combattu les libertés individuelles et reconduit, immanquablement,
tous les outils, tous les instruments de domination et de gouvernement de l'homme sur
l'homme.
La propagande étatique au moyen de l'éducation, des médias, etc., s'est toujours
employée, entre autres, à faire accroire aux exploités que le fait de naître sur le
même territoire que leurs exploiteurs leur conférait une possession commune que les uns
et les autres partageraient. Cet enseignement a eu pour résultat de donner aux
prolétaires le sens des devoirs à accomplir pour la plus grande gloire de la nation,
c'est-à-dire de chefs de bandes avides de pouvoir au nom du drapeau national. D'abord en
travaillant pour son économie de profit, ensuite en acceptant de mourir et de donner la
mort dans des guerres et conflits nécessaires à l'expansion et à la défense de leurs
bourgeoisies respectives.
Pour les adeptes de la religion nationaliste, les hasards qui ont fait naître les
individus sur tel territoire, dans un ensemble ethnique et/ou religieux, imposeraient de
faire abstraction de nos vies propres, en nous considérant avant tout comme des êtres
liés à un sol, une ethnie, une religion, quelle que soit notre place dans la hiérarchie
sociale. L'identification des individus à un tel ensemble permet précisément de faire
peu de cas des différents rôles et fonctions qui séparent les humains dans cette
entité fumeuse, la nation, ce leurre qui entend disposer de nos vies. Les divisions
réelles sont ainsi mises de côté, et cette identification trompeuse à l'ensemble
implique que les antagonismes à l'oeuvre à l'intérieur de celui-ci soient projetés
vers l'extérieur. Les ennemis, ce sont alors les << autres >>, ceux qui ne
font pas partie du groupe ou ceux qu'il a rejetés. La perversité du nationalisme
apparaît ici dans toute sa splendeur, car il est effectivement l'arme de ceux-là mêmes
qui en seront les futures victimes, qui se trompent d'ennemis et installent des
"compatriotes" aux commandes de leur patrie "libérée " mais toujours
exploiteuse, faisant triompher ce que Proudhon appelle la "constitution unitaire de
territoires sur le modèle des grandes puissances dont la centralisation pèse si
lourdement sur les peuples; ce n'est pas de la liberté, encore moins du progrès".
Insensibles au chant guerrier et mensonger du nationalisme "libérateur", les
anarchistes ont toujours prétendu que c'était les individus qui devaient se libérer,
pas les nations. Ce qui est loin d'être la même chose. n est aujourd'hui encore dommage
que certains adorateurs de drapeaux nationaux, certains << agités >>
frétillant au spectacle navrant de porte-flingues maquisards ne l'aient toujours pas
compris et viennent chanter ici même les louanges de leur "mouvement de
réappropriation de la souveraineté" (sic), de leur " émancipation
nationale" (re-sic) et autres âneries politico-patriotiques ayant invariablement
servi de tremplin à des conquérants du pouvoir qui n'eurent toujours qu'une hâte :
perpétuer l'autorité, la hiérarchie, la domination.
Marcher en dehors des clous de la "nation", ne pas caresser dans le sens du poil
indépendantiste, là surtout où le fanatisme patriotard ne tolère guère d'autre
attitude, reste une tâche autrement plus difficile, plus responsable et plus
authentiquement courageuse que la participation ou le soutien à des singeries guerrières
en répétant des stupidités millénaires.
"Il faut rayer du Code les titres concernant l'état-civil des Français. Le droit de
cité appartient à tout individu dans tous les pays civilisés où il se trouve ",
affirmait Proudhon. A la différence des arbres, en effet, les humains peuvent marcher.
Leur territoire potentiel, c'est la terre. Chacun devant être libre de vivre ici plutôt
que là-bas. Dans la compagnie de ceux-ci, plutôt que dans celle de ceux-là. Nos
particularités ne doivent en rien nous enfermer. Ce qui nous distingue peut nous
permettre de rencontrer ceux qui ne nous ressemblent pas, avec lesquels nous pourrons nous
comprendre et, peut-être, nous aimer.
Au lieu de consacrer nos existences à la reproduction des divisions artificielles qui
conduisent l'humanité à l'abîme et qu'entretiennent allègrement les diverses sectes
nationalistes, ne serait-il pas temps de se demander comment et pour quoi nous vivons...
GÉRARD et FLORÉAL
(I) Sur le sujet, vous lirez avec bonheur la brochure de notre camarade Jacques Delatelier intitulée "Les nationalités ont-elles le droit de vivre ?", parue aux éditions de la Vache Folle et vendue à la librairie Publico au prix de 12 francs.
Source : Le Monde Libertaire No 1033 du 7 au 13 mars 1996.
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